Déambulation 89. À México par enchantement

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Avant de partir en voyage, j’essaie avec une angoisse relative et pendant plusieurs semaines de trouver le juste milieu entre une préparation excessive et le laisser-aller afin de profiter d’un séjour avec le moins d’ennui et de mauvaises surprises possibles. Il s’agit d’une tâche à laquelle il faut s’adonner en toute tranquillité, puisqu’il peut devenir angoissant de trop chercher comme un perfectionniste ou, à l’inverse, de ne rien faire comme un mauvais élève. L’expérience contribue à diminuer les risques de sur-préparation et d’anxiété, mais il faut se méfier des voyages précédents : il n’y a pas de séjours, donc d’expériences, identiques.

Cette fois, la période de préparation n’a duré que deux jours : mon amoureux et moi avons décidé de partir à la découverte de México par un coup de tête. Je ne suis pas habitué à ce type de spontanéité : je réfléchis généralement assez longuement et avec plusieurs mois d’avance au type de voyage que je veux entreprendre, à la destination, à ce que je veux y faire. J’ai encore du mal à expliquer cette décision prise véritablement à deux, puisqu’elle est issue d’un paradoxal désir de nous reposer hors de la ville. Du simple projet d’une randonnée en montagne en banlieue de Montréal à celui de la location d’un chalet en campagne, nous avons vite sauté sur des billets d’avion relativement bon marché pour México où une amie nous a gentiment et gratuitement accueillis avec beaucoup de générosité. En trois jours frénétiques, nous avons fait nos lectures, dressé nos listes et plié bagages pour nous rendre aux aurores dans cette ville gigantesque, polluée, bruyante, chaotique, l’extraordinaire México.

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La frénésie à l’origine de cette drôle de décision aurait pu tenir tout le voyage, mais aux premiers instants nous avons su freiner le rythme en faisant confiance une fois de plus à nos instincts : plutôt que d’essayer de tout voir, nous avons décidé d’accepter par chacun de nos déplacements que notre visite d’une seule semaine ne serait pas suffisante. À plusieurs moments, nous nous sommes dits nous reviendrons. Ces simples paroles ralentissent la cadence d’un voyage et le transforment en une expérience de liberté. C’est bien elle que nous cherchions, au final, avec tous ces projets.

Liberté : drôle de mot pour parler d’une ville aussi intense. México souffre de sa réputation. Quand on nomme la ville, on dirait qu’on décrit tout le territoire du pays qu’on ne voit pas, qu’on évite, qu’on nie lorsqu’on se lance à prix réduit dans un tout-inclus au bord d’une plage mexicaine. On pense aux cartels de la drogue, aux pickpockets, aux enlèvements, aux éxécutions. On pense à de la pollution, à des regards louches la nuit, à de la suffocation. On nous dit de faire attention à nous, de ne pas nous aventurer partout, de ne pas regarder les gens étranges dans les yeux, de ne pas exhiber nos objets de valeur, de ne pas manger n’importe quoi, de ne pas boire l’eau du robinet, d’éviter les salades, de retirer les cubes de glace dans les verres, de se laver les mains au purell plusieurs fois par jour. Bref, on dit bon voyage en même temps qu’on dit tu ne seras pas libre, puis on se demande peut-être bien pourquoi bon sang nous infligeons-nous tant de contraintes? Je me suis pourtant senti libre, à México.

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J’ai senti cette étrange liberté que je rencontre en Amérique latine, peut-être parce que je suis à l’aise avec cette culture excessive, peut-être aussi parce que je me fonds dans la foule beaucoup mieux que dans la plupart des autres pays du monde. Je sentais également que je montrais l’Amérique latine à mon amoureux qui ne l’avait jusqu’ici jamais visitée ; sans avoir l’impression d’être chargé d’une mission, j’éprouvais tout de même la sensation que nos postures différentes – mais magnifiquement harmonieuses – exacerbaient mon aise malgré tout ce qu’on dit et qu’on voit à México.

Les conseils qu’on donne à quelqu’un qui part en Amérique latine sont appropriés : il est vrai que ces villes sont relativement dangereuses, qu’il faut redoubler de prudence à l’égard des objets que nous possédons, qu’il faut demeurer très vigilants, que les mesures d’hygiène sont plus flexibles qu’en Amérique du nord, qu’on y raconte des histoires horribles. Mais ce sont aussi des villes où les bruits assourdissants nous rappellent que nous pouvons participer à la cacophonie, que le chaos peut aussi être excitant, que nous pouvons nous faire confiance, que nos instincts nous trompent rarement.

Il est difficile pour un Nord-Américain d’adopter une telle posture. Cela exige qu’on abandonne certains de nos réflexes, de nos habitudes et de nos préférences. Cela exige qu’on fasse des sauts dans le vide plusieurs fois par jour – aux repas, au coin d’une rue, dans les transports en commun, aux toilettes, au moment de parler à quelqu’un. Je crois que cette fois les sauts dans le vide qu’oblige México, ville belle et ville dure comme d’autres en Amérique latine, étaient plus faciles à risquer puisque l’idée même de ce voyage est arrivée comme une surprise (il faut aussi avouer que notre hôtesse nous a beaucoup aidés). Une fois fragilement mais heureusement placés dans cette posture, il devenait plus aisé pour nous d’endurer la présence policière parfois agressive, la misère omniprésente, la criminalité dont on se doute dans certains quartiers, l’insistance des vendeurs ambulants. Puis le chaos, effrayant au premier regard, sans cesse actualisé dans les mœurs et dans l’iconographie mexicaines, se modulait lentement, se détendait sans pourtant s’amenuiser, pour devenir à certains moments l’objet de notre enchantement.

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Mais México n’est pas que bruit et pollution. C’est une ville où on voit, parmi les fissures et la saleté, de la beauté indicible. C’est une ville qui, au détour d’un boulevard aux allures d’autoroute, se tient un parc qu’on nomme forêt. C’est une ville qui se trouve à deux pas de pyramides dont les sommets offrent au corps un repos bien mérité et à la vue des paysages qui exhibent leur tranquillité. C’est une ville dont les musées, les bibliothèques, les parcs et les galeries sont incalculables. Les hâvres de paix sont nombreux à México et le silence parfois même imposé n’est pas difficile à trouver. C’est avec bonheur qu’on comprend que le chaos a besoin de vides pour exister.

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J’apprends encore à voyager, je l’écris souvent dans ce blogue. Cette fois, j’ai appris les bienfaits de la spontanéité : un voyage n’a pas nécessairement besoin de mois de préparations et de réflexions pour être réussi. Les coups de tête peuvent également guider le voyageur et paradoxalement faire fuir son pire ennemi, la violente angoisse qui cloue au sol, qui dans l’immobilité donne l’effet d’un séisme. Les tremblement de terre sont courants en Amérique latine : ce voyage me convainc une fois de plus de profiter des moments de répit, des vides et du calme entre deux séismes, pour la visiter. Nous reviendrons – je me suis souvent répété cette phrase. Je reviendrai à México aussi bien qu’ailleurs en Amérique latine, continent chaotique et éternellement ému, continent aux pays profondément différents mais unis par leurs excès.

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