Les cinq heures d’attente à l’aéroport de Dublin avaient des airs d’entracte : tranquillement un pont liait les derniers jours passés en Irlande aux prochains en Grande-Bretagne. Notre arrivée retardée à Édimbourg marquait ainsi le début d’un second acte, très différent du premier, au rythme et au ton plus saccadés, de sorte à ce que nous nous demandions aux premiers instants pourquoi nous avions décidé, en organisant ce voyage, de quitter l’Irlande pour joindre l’Écosse – mais une seule ville, puisque nous avons boudé sans raison claire Glasgow et les Highlands – plutôt que de tirer profit de ces cinq jours supplémentaires pour visiter l’Irlande du nord. Bien que le sentiment de perplexité demeure toujours devant notre drôle de décision, le détour à Édimbourg est loin d’être une erreur. Entreprendre un voyage parsemé d’arrêts et de spirales impose une confiance aux premiers instincts dont ont a fait preuve chez soi, des mois avant le départ, tandis qu’on rêvassait devant l’ordinateur non sans angoisse et accablement : projeter la route parfaite est impossible. Les arrêts qu’on prévoit à l’avance froment un chemin d’errance plus ou moins flou qui sert à faire rêver le voyager. Nous avons, mon amoureux et moi, nommé Édimbourg un peu au hasard en nous disant pourquoi pas ; alors que je m’étais mis à m’imaginer en train de m’y perdre, Édimbourg est devenue une nécessité, un arrêt obligé dans notre parcours.
L’errance à Édimbourg était similaire à celle à Dublin : nous nous sommes attaqué à la ville comme un nouveau voyage en commençant par certains lieux touristiques savamment sélectionnés après des lectures réitérées de notre Lonely Planet et des commentaires sur TripAdvisor. C’est ainsi que nous avons été impressionnés, comme tous les touristes que nous croisions, comme tous ceux qui nous ont vanté la ville, par son architecture désespérément géorgienne , ses pierres beiges, brunes et rouges si ordonnées, systématiquement répétées en de bâtiments quasi-identiques dont la saleté n’altère jamais la beauté. D’un quartier à un autre, il est facile de se perdre dans Édimbourg ; heureusement que la Princes Street est là pour nous rappeler au désordre avec son boucan de touristes et de lèche-vitrines, d’amuseurs publics et de mendiants, de bus à deux étages et de taxis qui polluent le paysage bigarré de la Royal Mile au-delà des ponts, rue excessivement touristique, mais inévitable et enjouée, dont les magasins de souvenirs, les cathédrales, les musées et les boutiques de whisky aboutissent majestueusement sur le sempiternel château qui n’aura de cesse de nous faire tourner la tête jusqu’à ce qu’on quitte la ville : çà-et-là, nous nous dirons constamment tiens, encore lui.
Édimbourg est une ville à plusieurs étages : sans arrêt on monte et on descend pour se trouver littéralement sous une rue, sur une rue, parallèlement en hauteurs, comme si les quartiers étaient sens dessus-dessous. Ce qui peut paraître comme un désordre étourdissant s’avère dans les faits à être un ordre typiquement britannique, tout aussi rassurant qu’étonnant, transformant l’errance en une activité aussi agréable que naturelle. À l’écoute de cette particularité d’Édimbourg, nous avons rapidement abandonné les circuits touristiques (dont plusieurs étaient assez coûteux : il faut tout de même mentionner qu’Édimbourg, un peu comme Stockholm, est une ville chère et riche) pour nous promener au bord des canaux artificiels et de la rivière du Dean Village dont les guides de voyage ne parlent pas (c’est un scandale : cette promenade est à mon avis un incontournable pour prendre le pouls de la ville, de sa tranquillité et de sa proximité avec la mer et la campagne), pour faire la sieste sur la plage de Portobello, magnifique et typiquement nordique.
On est attentif à Édimbourg comme on observe une sculpture ; on obéit à sa structure alternante, à ses différents niveaux, à ses croissants et rues circulaires, à ses pentes et vallées, à toutes ses dimensions, puis on se promène en passant sans cesse de visites frontales et touristiques à des parcours plus risqués, des détours plus ronds, pour toujours revenir à cette image d’ensemble et multiple que la ville offre régulièrement au passage d’une ruelle qu’on emprunte afin de prendre le risque de se tromper, de s’égarer.
Devant le Scottish Museum of Modern Art, une œuvre d’art public arbore un message humoristique : there will be no miracles here. Bien que nous ayons réussi à découvrir cette ville sans nous perdre, il est vrai que nous y avons beaucoup erré. La déambulation n’est effectivement pas un miracle et c’est pourquoi je crois, au final, que notre décision de placer Édimbourg dans notre parcours n’était pas qu’un choix aléatoire.
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