Déambulation 69. Les chemins de l’origine

Patricio Guzmán, dans son très beau film Notalgia de la luz, fait le pari de joindre les extrêmes, comme le font souvent les documentaristes : en plein cœur du désert d’Atacama, son regard sensiblement vertical mais toujours attaché à l’horizon réussit à faire cohabiter les étoiles et les minéraux, éléments clés du Chili qui, aussi éloignés soient-ils, mettent le doigt sur les recherches importantes pour l’Homme et plus spécifiquement pour les Chiliens. L’archéologue et l’astronome cherchent tous deux les traces de nos origines, haut perchées ou enfouies sous terre, avec la conscience que ces recherches ne demeurent pas essentiellement théoriques puisque le vaste désert transformé en véritable laboratoire se trouve dans un pays qui a connu la dictature, qui pleure encore ses morts, qui cherche encore ses disparus. Atacama n’est pas qu’un désert aride détenant des secrets astraux et archéologiques, c’est aussi là qu’on a abandonné les corps des dissidents pour les faire sombrer dans l’oubli. C’est là que des groupes de femmes cherchent à mains nues, en haute altitude et sous un soleil plombant, les restes de leur mari, de leur frère, de leur père. L’une d’elles affirme souhaiter que les télescopes ou les brosses puissent un jour résoudre les énigmes de l’humanité, alors peut-être trouvera-t-elle les restes de son petit frère. Autant dire que le personnel, en plus d’être politique, est résolument universel. Après avoir vu ce film, j’ai compris que mon voyage au Chili ne serait pas comme les autres.

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À Santiago, j’ai visité des musées et surtout des lieux de mémoire : j’étais un touriste un peu plus familier que les autres avec les lieux ; j’étais un exilé. À Viña del Mar et à Valparaíso, je n’avais pas grand-chose du touriste mais rien du porteño : rarement je me suis demandé à quel groupe j’appartenais lorsque j’errais dans la ville et au bord de la mer, puisque c’est ma cousine qui m’a régulièrement dit comment me rendre à telle plage et qui m’a emmené à une multitude d’endroits féériques, puisque c’est avec ma tante que je me suis promené dans le quartier de mon enfance. J’étais un neveu, un cousin, un grand-cousin. Je suis venu au Chili en cherchant, moi aussi, à me rapprocher de mes origines. L’exil était à Santiago. La famille était à Viña / Valpo.

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Mais, à l’instar du film de Guzmán, les origines se tractent aussi avec le regard baigné de ce qui nous dépasse, le corps à même les espaces naturels qui nous définissent autant qu’ils nous rejettent : c’est la main dans le sable, dans le sel et dans les cendres volcaniques qu’on découvre les petits éclats d’os des disparus, c’est les yeux suivant le mouvement des vagues qu’on sent le parfum marin de l’enfance, c’est confronté à l’immensité de la Cordillère des Andes qu’on comprend d’où vient la fascination des montagnes qu’on dessinait jadis innocemment. J’ai beau être un parfait touriste parmi tant d’autres à San Pedro de Atacama, souffrant des symptômes de la haute altitude, profitant des tours organisés pour de la baignade dans les lagons, pour des promenades sur les étendues de sel, pour des randonnées au bord des canyons et pour des séances d’observation des étoiles en pleine nuit, je ne peux faire autrement que de contempler ces endroits extraordinaires en pensant à la complexité du pays de mes origines qui abrite également les membres de ma famille, accueillants et fiers comme le sont les Chiliens. Je pense à l’anniversaire de mon petit-cousin qu’on a célébré en famille, aux road-trips avec ma cousine, aux monologues et aux larmes de mes tantes. Je pense à leurs portraits, je me dis que ces photos sont aussi signifiantes que celles des paysages.

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Les yeux rivés aux volcans et à l’océan, je pense à ma mère et à mon père qui vivent désormais séparément, à ma sœur exilée à l’autre bout de la terre, à mon filleul qui rit quand je le prends dans mes bras, à mon neveu qui fête aujourd’hui son deuxième anniversaire et qui mélange de façon émouvante l’anglais, le français et l’espagnol. Je pense à mon amoureux abandonné à Montréal : je lance à l’horizon aux couleurs changeantes la promesse de revenir au Chili avec lui pour que notre amour, aussi intime soit-il, suive les chemins des origines qui se parcourent du ciel à la terre.

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