Déambulation 59. Journal d’une gay pride (3e et dernière partie)

6 juillet.

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À l’exception de ceux qu’on voyait écrits sur les pancartes offertes aux passants et de ceux scandés au fur et à mesure des groupes qui passaient sur le Paseo del Prado, il y avait peu de mots et beaucoup d’images lors du défilé. J’étais bien curieux de savoir à quoi ressemblait ce qu’on appelait une manifestación estatal plutôt qu’un défilé (encore moins une parade) pour célébrer la fierté LGBTQ. J’étais arrivé tôt pour l’événement (c’est-à-dire tout juste à l’heure, ce qui est longtemps d’avance en Espagne) et déjà les rues, peu à peu fermées grâce à la formation d’une foule, avaient l’air d’un territoire occupé en vue d’une véritable manifestation, à l’image de toutes celles auxquelles j’ai pris part au printemps dernier. Armé de mon appareil, je me suis rapidement octroyé un rôle semblable à celui que je tenais pendant le printemps québécois : jadis, je manifestais avec colère et joie, avec mes pieds et ma voix, mais aussi avec cette caméra qui mitraillait avec urgence. Exit la colère, les rues du quartier des musées de Madrid étaient ce soir-là similaires à nos lieux de rassemblement en temps de grève, à l’exception de cet air de fête typiquement madrilène qui écrasait toute tension. Dans les mains de certains, cependant, se tenaient des pancartes aux messages plus directs, certains liés à la crise économique, d’autres, bien sûr, à l’homosexualité : pour une laïcité dans l’Union Européenne en ce qui concerne la question des droits des LGBTQ, contre l’hypothèse d’une cure à l’homosexualité, pour le mariage gai dans toute l’Union Européenne. Ça augurait bien.

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Puis, les travesties sont tranquillement arrivées. Il y en avait pour tous les goûts, de toutes les couleurs. La première que j’ai croisée était à l’image de cette gay pride, dosant les contradictions, le mainstream et l’alternatif, l’élégance et le mauvais goût, la beauté et la laideur, le tout au nom de l’exubérance. Tous se ruaient sans discrimination vers chacune d’elle pour les poser et en faire un phénomène d’une foire qui rend tout le monde heureux. La seule qui s’obstinait à ne pas sourire était la première, malgré les réclamations des passants-photographes qui suppliaient : sonríe, sonríe, para el Orgullo, sonríe. Quelque chose était « à côté de la track » dans ce défilé, mais ne l’oublions pas : malgré la musique pop qui détruit les tympans, malgré les travesties et les monsieur-muscles qui prenaient de plus en plus de place, ce défilé n’en était pas un. On parlait de manifestation.

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Pour débuter la marche (une heure trente après l’heure annoncée, bien entendu), alors que déjà on dépassait la dizaine de milliers de personnes rassemblées tout au long du Prado, une banderole a été levée vers le ciel : jóvenes sin armario y con futuro. Ce thème des festivités del Orgullo donnait le ton à la marche et justifiait la présence majoritaire de jeunes spectateurs. La plupart d’entre eux (mais aussi des moins jeunes) avaient tenté de faire un effort pour se ranger davantage du côté des travesties que du simple spectateur, se transformant ainsi en quelque chose comme des manifestants de première ligne, de ceux qu’on regarde quand ils nous dépassent. Certains étaient munis de pancartes aux messages tout aussi politiques (orgullo de escuela pública) qu’humoristiques (viva y deja vivir, folla, no jodas et curarse sí, con cura no), alors que d’autres se sont ajouté un accessoire, quel qu’il soit, pour sortir du lot : bracelet fluorescent, tatouage temporaire, brillants sur le corps, talons aiguille, robe, corset, maquillage excessif ou simple ligne de rouge à lèvres, chapeau fantaisiste, ailes d’anges, collier sado-masochiste, perruque, plumes… tout était permis, même (surtout ?) la nudité, pour que les regards se tournent vers soi ne serait-ce qu’un instant. Parce que, avouons-le, ce sont les personnes montrant le plus de peau qui, après les travesties les plus excessives, s’attiraient la majorité des regards. Chaleur aidant, les vêtements tombaient à mesure qu’on approchait la fin du parcours, la Puerta de Alcalá, appelée aussi Puerta de la Independicia.

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Si certains regardaient le « cortège » passer, la plupart d’entre nous en faisaient partie, puisqu’il n’y avait pas vraiment de « cortège ». D’ailleurs, il est important de noter que parmi ces personnes presqu’à poil, déguisées, accessoirisées ou simplement habillées  comme vous et moi, parmi toutes ces familles, tous ces résidents et tous ces touristes, il n’y avait pas de place pour des chars allégoriques, objet pourtant central de la majorité des défilés de la gay pride, notamment de celui de Montréal. Les groupes organisateurs, communautaires, politiques et artistiques invités à prendre part à la marche ne paradaient même pas à la file indienne comme on a l’habitude de le voir : tous étaient mêlés à la foule qui marchait et dansait parmi eux. Le seul char allégorique qui avait le droit de se frayer un chemin privilégié au long du parcours était un autobus ouvert sur lequel  la banderole initialement levée au début de la marche était fièrement tenue exclusivement par des familles homoparentales et par des parents d’enfants homosexuels. Ce défilé, par ce seul char allégorique, était tourné vers une jeunesse à laquelle une foule incroyable de gens rendait honneur en manifestant pour leurs droits acquis, ceux à maintenir et ceux qui restent encore à obtenir. On célébrait une jeunesse espagnole qui connaît des jours exceptionnels en termes de liberté pour les LGBTQ, à des familles qui ne sont pas loin d’être les premières à mettre au centre de leur vie l’homosexualité, peut-être pas encore comme une norme, mais du moins comme une différence assumée socialement et qui mérite qu’on la souligne avec autant de couleurs, d’émotions et d’exubérance. Dans ces trois domaines, les espagnols ont encore une fois réussi à exceller.

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Je suis parti avant la fin, parce qu’en bon Québécois je ne supportais plus la chaleur et la foule (je n’ai jamais vu autant de gens lors d’une manifestation), mais j’ai su que les célébrations en pleine rue, entre un arc ancien et un énorme rond-point, se sont poursuivies des heures durant. C’est ainsi que s’est terminée cette semaine de la fierté gaie de Madrid, rendant ce type de célébration d’une pertinence incontestable dans un pays pourtant connu pour son ouverture à l’égard des LGBTQ ;  on n’a pas hésité, d’ailleurs, à rendre hommage aux autres pays dont les habitants ne jouissent pas des mêmes droits. On a donc abondamment fait appel à la solidarité, mot émouvant qu’on répétait sans cesse lors du printemps québécois.

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