Nous avons planté des fleurs. Nous avons planté des herbes. Nous avons aussi déplacé quelques plantes qui aiment le soleil. Les jours de pluie, la nature se nourrit. Nous n’aimons pas trop la pluie, mais nous sommes encore dehors, beau temps mauvais temps (ici, ça veut dire chaleur insupportable, humidité collante et tempêtes violentes). Bref, c’est l’été.
Cet été est teinté. Cet été est couvert. Cet été est bruyant de colère, beau de solidarité.
J’ai marché seul pour ne pas marcher avec les autres, et pour comprendre que le déambulateur ne marche jamais seul. J’étais heureux de savoir que mes déambulations ne tournaient pas le dos à la situation sociale à laquelle de plus en plus de citoyens participent, mais une fatigue s’installe, non pas physique, mais morale. Les carrés rouges dans la rue, celui que je porte et ceux graffités sur les murs, créent une frontière entre la ville et moi. Entre l’été et moi.
Ces derniers temps, je marche dans la rue en tentant de profiter de la belle saison qui insuffle à Montréal un air extraordinairement oisif et fêtard. J’ai tenté d’attraper cette ambiance dans mon objectif pour qu’elle se dédouble et se transporte vers l’ÉCRAN FENÊTRE, question de donner au blogue un peu de ces sourires, ces terrasses et ce sentiment de sans lendemain propres à nos étés. Et pendant un certain temps, ça a fonctionné. Je vis tout près de Ste-Catherine, rue de tous les vices, de toutes les diversités. Rue polysémique aux héritages et aux histoires multiples. Rue qui ferme l’été, qui devient alors un trottoir géant, une terrasse infinie, un terrain de jeu pour tous : adultes et enfants, amoureux et solitaires, prostitués et itinérants, touristes et résidents. En marchant sur Ste-Catherine, j’ai vu des employés travailler des jours durant afin de poser au-dessus de la rue un toit de boules roses. J’ai vu des artistes laisser leurs pinceaux à l’abandon aux côtés d’une peinture inachevée sur l’asphalte déjà occupée. J’ai vu sur le sol des jets de bleu lancés tout près des ronds roses et rouges à moitié défaits, sans doute les premiers signes de vandalisme ou d’usure.
J’ai vu un carré rouge. Et puis un autre. Du duck-tape rouge collé sur les publicités. « Gratuité scolaire » sur les Bixi, RioTinto Alcan devenu « RioT ». J’ai souri. Ces signes sont loin d’être effacés. L’été aura beau être chaud et humide, il n’est pas près de cacher notre colère. L’été, cette année, est couvert de révolte.
Je déambule le jour et le, soir, je vais sur mon balcon ou dans les rues, accompagné d’amis et voisins, casserole et cuillère en bois cassée dans les mains, pour faire un tapage émouvant qui me rappelle mon pays d’origine, la lutte passée de mes parents et la lutte actuelle de mes cousins. Je regarde la cinquantaine, la centaine, le millier de personnes qui frappent sur leurs casseroles, la plupart en souriant mais certains en pleurant, et je sais que nos luttes se rassemblent. Les fleurs peuvent bien se peindre sur l’asphalte et se planter sur nos balcons, elles seront couvertes, cet été, de notre bruit, nos cris, nos pas et nos feux.