Déambulation 14. L’été est une saison pleine (chemin faisant)

(suite du billet précédent)
Drôle de posture pour reprendre ce blog laissé à l’abandon pendant presque toute une saison. L’idée m’est venue en croisant une femme qui profitait du soleil d’un sourire beaucoup trop béat, avec une poussette de luxe à pneumatiques de vélo de montagne qui prenait toute la place sur le trottoir. Cette image m’a dérangée, tout comme celle d’un homme en shorts et camisole sur la Plazza St-Hubert, alors que je portais encore mon gros foulard sous mon manteau de printemps. Tout comme celle du couple d’amoureux exagérément mielleux assis sur un banc de parc encore sale des bourrasques de l’hiver. Tout comme celle des vieillards qui arrosent le carré de trottoir devant leur entrée d’appartement sur Christophe-Colomb. Tout comme celle du groupe de jeunes filles typiquement du Plateau obstinément attablées sur la terrasse d’un café Second Cup alors qu’un vent encore très froid soufflait sur la ville ensoleillée. Tout comme celle des dizaines de jeunes du Mile-End vêtus d’un accoutrement absolument improbable, sortis de leur tanière pour se pavaner bruyamment sur St-Viateur en d’interminables allers-retours de St-Laurent à Avenue du Parc.

C’est le printemps qui est arrivé, pas l’été. Pourtant, les excès sont déjà là, en plein soleil, au vu et su de tous. Ça me dérange. Terriblement.

L’idée m’est venue, en fait, en sortant ma chaise de bureau sur mon balcon, un livre à la main et un drink alcoolisé de l’autre, pour « profiter du beau temps », comme on dit. L’idée m’est venue en m’apercevant que mes voisins faisaient la même chose, à gauche et à droite. L’idée m’est venue en m’apercevant que je suis un vrai Montréalais qui, sans même l’assumer, s’excite complètement avec un rayon de soleil prématuré : si ça me dérange à ce point, c’est que j’en suis.

Ma caméra s’est réveillée de façon brutale, exprès pour photographier le printemps sur le visage de la ville, sur le visage des gens. Sur mon visage, aussi, qui porte les couleurs du dérangement.
***

Cette idée, comme l’hiver, comme le printemps, n’a pas eu lieu. De toute bonne foi – mais aussi de mauvaise foi – j’ai déambulé dans les rues à la recherche de visages printaniers, risibles ou pas, dérangeants ou rassurants. Échec total : une seule photo, celle d’un enfant jouant dans les déchets découverts par la fonte des neiges. Photo trash et affreuse, malheureusement laide à souhait, floue mais pas dans le bon sens. Raté. Je sentais pourtant encore tout le dérangement du printemps arrivé trop vite, de la posture dans laquelle la nouvelle saison nous forçait de nous placer. Je sentais que ce n’était pas là (ce qui ajouta au dérangement). Je sentais que je visais à côté.

L’enfant. C’était lui, l’intrus. L’enfant trop légèrement habillé joue encore dans les vestiges de l’hiver subitement disparu. Ce n’étaient pas les autres qui me dérangeaient, à ma grande surprise. C’était l’hiver. C’est le printemps. C’est l’été qui s’annonce pour la fin de semaine.

La ville n’a pas eu le temps de voir mourir l’hiver. Voilà le dérangement. J’aurais voulu voir l’hiver mourir.

De cette mort, il ne reste que des ordures.
  
  
 

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