Déambulation 7. L’engagement du flou (ou comment résoudre un débat poétique).

Dans tous les milieux, il y a des guerres de partis. Plusieurs combats sont menés dans le milieu de la poésie québécoise. Ce sont les idées qui guident ces débats, et c’est tant mieux, mais trop souvent les maisons d’éditions s’en mêlent et ça devient moins beau. Par exemple, on retrouve d’un côté ceux qu’on appelle facilement les formalistes et de l’autre les paysagistes, surnom encore plus péjoratif. Plus loin derrière, ceux qui n’ont pas de nom, intéressés par l’engagement, imposent des idées à la poésie et au lecteur et évacuent parfois toute sensibilité. Trois camps stéréotypés qui s’arrachent la tête, mais en silence, car l’écriture a besoin de solidarité. Ces trois camps sont souvent reliés à des maisons d’édition : le Quartanier aime la forme et n’aime pas le Noroît, grand paysagiste qu s’embarque parfois dans des débats avec les bruyants Poètes de Brousse. Il s’agit ici d’un résumé d’une situation hautement simplifiée qui place tout de même les jeunes poètes qui, souvent, n’ont pas encore publié, devant une chicane impossible à résoudre où démagogie, attitude et mauvaise foi prennent autant de place que toute considération esthétique, formelle et poétique. Il m’est souvent arrivé d’assister à des conférences, des colloques et des lectures de poésie à la base très intéressants mais qui dérapent rapidement, laissant pour compte les sujets initiaux pour ranimer cette chicane, à la suite de quoi je me pose nécessairement la question : quel est mon camp ? Il m’arrive d’explorer de façon très formelle, de mettre des barres obliques, de couper des mots, d’en inventer, de faire des sauts qui coupent la parole, qui coupent le souffle. La poésie exacerbe la forme, c’est normal. Mais il m’arrive d’écrire un slogan ou deux, de lever le poing avec la poésie, tout comme je suis un passionné des paysages, de la neige, des pas sur le sol et de la couleur du ciel parfois violemment opposée à celle de l’asphalte. Ce blog en témoigne, certes, car il s’agit de déambulations qui sont dirigées par le paysage urbain. J’ai aussi écrit un recueil de poésie qui ne serait jamais publié au Quartanier : bien que cette poésie ait une grande considération formelle, la relation entre soi et le monde extérieur est bien plus importante. Peut-être ai-je choisi mon camp (pour le moment) ? J’écris je et pas loin apparaissent les mots ciel, terre, sol, arbre, neige, large, horizon, averse, vent. Pour le moment, je vois le paysage et j’ai le goût d’écrire. Je photographie le paysage et je le modifie pour qu’il porte mon regard, pour qu’il possède ma voix, pour qu’il ait un rythme nouveau, celui de mon souffle et de mes mots.

Ces transformations, pourtant… c’est de la forme. Et c’est aussi tout un engagement. Alors mon camp n’est pas si clair.
J’ai aussi beaucoup travaillé sur la place du je dans la poésie. À mon avis, en une phrase, le je n’est pas dépourvu d’engagement, bien au contraire ; il se sépare du moi grâce à la forme. Voici donc les trois éléments du débat unis dans une seule et même idée, dans une seule et même posture ; voici les trois éléments qui pourtant s’opposent lors des conférences qui dérapent. Loin de moi l’intention de dire que ma posture est la bonne, est la meilleure, est la seule qui vaille, que tous les poètes qui jouent à la guéguerre des mots et des postures se fourrent un doigt dans l’œil et l’autre dans le nombril (quoique…). Seulement, j’ai mis du temps à accepter mon côté « paysagiste », car je le confondais avec la contemplation. C’est lorsque je me suis mis à réfléchir aux quelques photos que je prenais pour le plaisir, aux paysages que je modifiais avec mon regard et mon appareil, que j’ai compris la nuance. Le paysage, comme tel, n’a rien à voir avec la poésie ou avec les photos. C’est le chemin parcouru par le regard de soi au monde qui est important. C’est la projection, le déplacement, le mouvement. C’est donc la coupure là plutôt que là, la lumière qui entre comme ça, le flou imposé (j’adore le flou, vous verrez), la vitre devant moi, le reflet de ma caméra sur la photo imprimée par-dessus des arbres, l’écran qui fait une fenêtre (pour reprendre le tire). C’est la forme, peut-être subjective mais loin d’être égoïste, qui agit comme un réel engagement.
Ouf.
Maintenant, je m’étais dit, j’ai le droit d’écrire le paysage (et de le photographier), car en fait j’écris mon regard et non le paysage en soi. J’ai le droit de déambuler et d’écrire cette déambulation sans me sentir tomber dans une stupide et béate contemplation. J’ai aussi le droit de publier sur un « blog déambulatoire » des photographies de paysage prises à l’automne et à l’hiver, car sur ces photos l’inscription d’un je plus fort que toutes les barres obliques est rendue à la fois visible et invisible. Voici donc en images toute cette théorie qui est pour moi une façon sensible et engagée de voir le monde et d’y vivre.

2 Commentaires

  1. Je découvre avec bonheur l’excellent blogue de mon nouveau collègue. Sincèrement, c’est du bonbon. Et tes photos sont vraiment géniales ! Compte-moi parmi tes nouveaux lecteurs assidus…

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